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Logorrhée des frontières

Auteur: Serge Delaive

Identité. Identités. Derrière quelles frontières gigognes nous enfermons-nous alors que, déjà, nous sommes perdus? Quelles identités restrictives? Quant à moi, suis né dans ma langue. Le français. Bien que dans mon français il soit question de souper pour dîner, de septante pour soixante-dix, d’essuie pour serviette, enzovoort, refrain connu et distinguo non négligeable. Pareil en Flandre, entre le soi-disant  ‘beau néerlandais’ et les parlers ‘sales’. Mais ne sommes pas bâtards. Et si le sommes, le revendiquons. Car la langue est notre terre, notre gangue placentaire.
       Puis, peu à peu, d’autres langues se sont ajoutées, ont perforé la mienne. Liées au hasard qui n’existe pas, à la nécessité qui existe bel et bien. Pourtant, je l’écris dans l’ordre intime, je ne serai jamais français, I will never be French, non saro mai francese, ik zal nooit Fransman zijn, no seré nunca frances. Et des accents et de l’orthographe dans toutes mes langues non maternelles et donc paternelles peut-être, des accents et de l’orthographe je m’en fous. On n’a qu’une mère. My mother, born Somers, maybe summer in Dutch. Mon père qui m’a infusé dans son nom. Delaive. De l’èwe en wallon, de l’eau. And my mother-in-law, Van Massenhove, Massenhove, village posté en bordure de l’autoroute E40 à l’entrée d’Ostende, Oostende, Ensor, à la fin de l’est. Tellement du nord. Car je suis belge. Y tengo una otra suegra (porque mi amor tiene dos madres. Así, algunos tienen dos madres), Han es su nombre, Han Sun-ja, nacida y viviendo en Corea del Sur, de donde viene my mujer, y la mitad de Sann mi hijo, y la mitad de Célia mi hija. But South Korea (even Korea) does not exist excepté dans nos langues puisque ce pays s’appelle Daehan Minguk et qu’aucun coréen n’est coréen un point c’est tout.
       Then, in this country where three official languages coexist, sin rouvi nos wallon di Lîdje et tous les Vlaams, we should have learn not to hate each other, even if everybody teaches us that we have to do so. Even if human being is hateful. Because in our respective languages, in the womb of our respective mothers, we have built the same chaotic country. Ik spreek niet Vlaams. Là serait le problème. Ce que me reprochent des amis néerlandophones. Mais moi je dis, sans la moindre provocation: et alors? Toi, tu pourrais être belge sans parler le français. Ça ne me pose aucun problème. Puisque les langues sont nos mères. Ce n’est pas de ma faute si je suis né dans le français dont l’aire géographique recouvre plusieurs de ces foutues frontières. Ce n’est pas de ta faute si tu es né dans le néerlandais. En quoi cela nous empêcherait-il d’évider la terre nommée Belgique? Quel projet commun pourrions-nous porter par-delà les clivages que nous imposent les états-nations? Nous sommes les créateurs d’un fantasme de pays, d’un pays fantasmé. D’un cauchemarêve original. Je ne parle pas allemand, la langue essentielle, la pensée et les excréments de notre si vieille Europe. Who are we? We are what we are not. Which means that I am Belgian. Identité. Identity. Identita. Identiteit. Itenditad. Identités. I am a lot. We are alone.
       Nulle part en peinture figurative je ne me suis senti autant chez moi qu’auprès de Breughel.
       Yesterday, I went to Brussels, invited for a meeting about Belgian literature. Two Dutch speaking writers and two French speaking writers, surrounded by a mixed public. I never have learned Dutch. But during the meeting, I understood almost half of the Dutch conversation. Don’t know how I did, stunned by which miracle? It’s why I am Belgian.
       Depuis ma maison, je parcours vingt kilomètres et je suis à Hasselt où l’on ne parle pas la langue de ma mère qui est ma langue incestueuse, je parcours vingt kilomètres et je suis à Maastricht où coule le même fleuve, la même eau Maas et Meuse, la même èwe, je parcours trente kilomètres et je suis à Eupen germanophone où vit ma collègue qui ne parle pas allemand – et alors? –, je parcours quarante kilomètres et je suis à Aix-la-Chapelle, dit-on, mais chez moi tout le monde dit Aachen car telle est sa langue dans son nom, je parcours soixante kilomètres et je suis à Huldange/Huldang, deux noms pour un village bifide au pays Luxembourg. Partout, des maisons de briques rouges. Le dimanche, je me promène le long de la Maas Meuse dans la ville où je vis que j’ai toujours vécu. Il y a un marché. Je ferme les yeux. J’entends français d’ici et de France, quelquefois, mais j’entends surtout néerlandais de Flandre et des Pays-Bas, allemand d’Allemagne et de Saint-Vith. Puis bien d’autres langues originaires d’ailleurs plus lointains. Mbote, Maman. Abari? Musuri. Là-bas, en langue tshiluba on m’appelait Kamana Mpata, ce qui signifie: l’endroit où l’on n’arrive pas. Dès lors je suis belge, je parle français e non saro mai francese.
       Regarde: samedi 13 avril 2010, un ami très cher s’est disputé avec sa compagne. Plutôt que de tout casser, il a pris sa voiture. La nuit tombait déjà. Il est monté sur l’autoroute. Il avait décidé de rouler jusqu’à Eindhoven, Pays-Bas. Mais les pluies incessantes des derniers jours coupaient la route, inondée à hauteur de Maastricht. Alors il a rebroussé chemin, direction Düsseldorf, Allemagne. Fatigué, il s’est arrêté avant destination, dans la petite ville de Stolberg. Il a garé son véhicule, s’est baladé une heure dans le centre qu’il a trouvé bien joli. Il était maintenant apaisé. Sa colère s’était envolée dans les nuages plus noirs que la nuit. À minuit, il était de retour chez lui, à Liège. Trois pays ouverts pour une brève impulsion de fuite. Frontières. Identités multiples.


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